L'atelier Dewoitine D.520

Depuis longtemps Gilbert Godaillier réalisait des maquettes d'avions en plastique jusqu'au jour où il s'attaqua à du sérieux : construire à l'échelle 1/5 l'avion de sa passion de toujours : le chasseur français D.520. L'alu sera le matériau choisi, comme le vrai. Dans la masse, il commença à tailler le poste de pilotage avec rigueur, précis dans les détails du tableau de bord, de la belle ouvrage. Il était parti pour construire une maquette complète jusqu'à un jour de 2004, à la Foire Exposition de Bordeaux où il tomba en arrêt devant….un vrai ! « je l'ai vu sur roues et je l'ai suivi…depuis on ne se quitte plus ! » . Gilbert entra au Conservatoire et démontra un tel enthousiasme que Gilles Coustellié premier animateur de la restauration du Dewoitine lui passa la main, dégageant ainsi du temps pour se consacrer pleinement à la mise en place de la salle des Groupes Lourds. Dans la continuité de son prédécesseur, il se lança dans la recherche des nombreuse pièces manquantes : trouver les vraies roues du train principal et aller les chercher au fin fond de l'Ardèche, échanger la jambe de train chez un collectionneur en Normandie contre …une aile de Mirage. Sa curiosité l'aide aussi dans ses recherches de pièces : ainsi en soulevant les livres anciens du carton que Jacques Dux portait sous le bras en passant devant le Dewoitine, il repère un démarreur de 52O ! Celui-ci n'avait pas été retenu pour le Stampe et repartait dans le carton chez son propriétaire. Pour cet amoureux du D.520 - le mot n‘est pas trop fort-, avoir la main sur la restauration de cet avion de légende, entouré d'une équipe -comme lui, passionnée- constitue un bonheur et une responsabilité vis-à-vis de notre patrimoine aéronautique. En effet sur les 905 exemplaires construits, il n'en reste que 3, ( l'atelier restaure le numéro de série 603 ). Gilbert Godaillier se souvient du « choc » lors de l'acquisition des roues qui portaient le même n° de référence que l'appareil, sans lien direct toutefois mais c‘était un signe….

Passionné d'aviation Daniel Andrieux ne put faire carrière dans l'Armée de l'Air faute d'une vue parfaite. Il trouva quand même le moyen de voler dans des avions, sans chercher toutefois à atterrir… en tant qu'officier parachutiste. « En arrivant dans l'atelier du CAEA, je n'avais aucune notion de mécanique, aujourd'hui j'apprends, c'est sympa, nous travaillons en bonne volonté, on s'aime bien et nous partageons une ambiance de groupe » . Avec retenue, cet homme d'action rajoute « Sur le D.520 on est dans le rêve, une façon de rendre hommage à ceux qui ont fait leur job ». C'est en compagnie de son père, qu'il vit voler le dernier D.520 apte au vol, par un beau matin à l'occasion d'un meeting à Vannes : il devait s'écraser l'après-midi, tuant son pilote.

« Les lignes fluides d'un avion sont une émotion » et « la mécanique a toujours été ma passion, on y voit le génie humain » ainsi s'exprime Marcel Soulette. Dans sa campagne dans l'Indre, gamin, il s'est toujours senti attiré par les avions : maquettes, vol circulaire, aéro-club. Nourri de lectures de l'époque héroïque, il arrive à Mérignac pour raison professionnelle dans une activité de matériel de précision, il se dit alors : « en travaillant ici, je viens voir des avions ». Aujourd'hui au CAEA dans ce hangar et son environnement, Marcel a trouvé avec l'équipe du Dewoitine ce qu'il cherchait : « quelque chose de collectif à partager » et le moyen de concrétiser l'admiration qu'il porte à l'épopée humaine et technique des conquérants de l'espace. En effet, il associe l'homme et son rapport avec la matière dont le métal : « l'aviation a progressé de point de rupture en point de rupture » .

« J'étais frustré de ne pouvoir toucher les avions que je voyais dans les meetings aériens, maintenant j'ai le droit d'y toucher ». Malgré un emploi du temps professionnel chargé, Marc Cornu consacre le temps de ses loisirs à sa passion autour du D.520 « ma rencontre avec Gilbert Godaillier été simple, en entrant au CAEA, je lui ai proposé un coup de main et depuis on est ensemble, dans une ambiance très sympathique où tout le monde s'entend bien ». « Travailler, nettoyer des pièces rares c'est un privilège. Avoir la responsabilité d'une restauration qui par la suite sera vue et appréciée est pour moi gratifiant ». Comme beaucoup, l'aviation l'a séduit tout enfant dans son Périgord. Il aurait voulu en faire son métier à l'image de son feuilleton TV préféré « les Chevaliers du ciel » mais le niveau « ardu » du recrutement l'a fait se diriger ailleurs. Toutefois, passion pour passion, il se déchaîne dans la réalisation de maquettes (+ de 300) et une collection originale de casques de pilotes militaires de différents pays. Mais c'est sans casque, qu'il aime s'asseoir dans un cockpit d'avion au Conservatoire, en songeant au pilote qui autrefois combattait à ses commandes.

Bernard Abadie a baigné dans l'aviation par son père qui s'était engagé dans l'armée de l'Air avant guerre et ensuite chez Latécoère sur hydravion à Biscarosse. Le meeting des Avions de Légende à Mérignac en 98 raviva son atavisme et son goût pour les Warbirds. Il découvrit le site internet du CAEA, s'arrêta devant le Dewoitine, trouva l'ambiance sympa et depuis, vient aider l'équipe dès que ses occupations professionnels le lui permettent. Xavier Servant ,également accro des avions de la dernière Guerre, rendit visite au Conservatoire entre deux TGV : « je me suis retrouvé avec un tournevis dans les mains, l'accueil a été très chaleureux et c'était une occasion unique de côtoyer un avion de légende ». Mickael Maucourt se souvient de l'arrivée du D.520 au Conservatoire: « j'ai suivi Gilles (Coustellié), ce qui m'a donné l'opportunité de travailler sur un tel symbole historique et ensuite avec Gilbert ». Aujourd'hui, très pris par ses activités, il renoue dans ses temps libres avec ses rêves d‘enfant, en initiant son fils au pilotage d'un chasseur… sur son ordinateur. Un moyen de s'imaginer en vol sur le Dewoitine.

Cette équipe ne manque pas de particularités : André Mathia en délicatesse avec la visite médicale de l'Armée de l'Air mais sans rancune, s‘est employé au cours de sa carrière de chef d'établissement dans l'Education Nationnale à promouvoir la formation aéronautique et à faire visiter le CAEA à de nombreux élèves. A la retraite, un ancien lui dit « je vais réparer des avions », sa passion retenue n'a fait qu'un tour et il s'est dit « maintenant, je vais l'assouvir ». Impressionné devant le D.520, il entra dans l'équipe de Gilbert. Toutefois, son manque d'assiduité remarquée…. lui est pardonnée car André exerce également la fonction de secrétaire du Conservatoire.

Autre particularité de cet atelier du Dewoitine formulée par Thierry Fournier : « cet avion synthétise les passions car aucun des membres de l'équipe du 520 n'a travaillé par le passé dans l'aéronautique ».

Thierry assure le support technique pour la restauration. Il aime à rappeler que lui, travaillant et vivant à Toulouse, a été accepté et intégré très rapidement par l'équipe de Gilbert Godaillier, ce qui l'a beaucoup touché.
Cet ingénieur système aurait pu être détective privé ! En effet : intéressé par « le pourquoi et le comment » vole un avion et « comment il a été construit » , Thierry Fournier a depuis 15 ans enquêté pour retrouver des témoins directs ou proches de ceux qui ont conçu et réalisé ces engins volants. Au départ, il recherche les plans des avions fabriqués à Toulouse : Latécoère, Dewoitine et Breguet ( décentralisé dans la ville rose), or chaque plan comportait une signature et une date, qu'il s'agisse d'avant plans, de plans modifiés ou d'études abandonnées. L'envie d'aller plus loin le poussa à enquêter pour retrouver des témoignages, d'abord auprès de l'état civil ( acte de naissance, de mariage, décès), recherche sur les listes électorales, etc. Après avoir localisé les témoins, il lui reste à rencontrer les survivants ou leurs descendants. Persévérant, opiniâtre Thierry retrouve des hommes et des femmes qui travaillèrent avant guerre chez ces constructeurs. Des femmes ?…il apprit ainsi qu'à, partir de septembre 1939 des femmes étaient recrutées sur les chaînes production, pour faire les entoilages, les coutures serrées et l'ajustage très précis des petites pièces mécaniques. Les entretiens avec ces derniers témoins d'une époque bien lointaine -ils ont très largement dépassé les 80 ans- commençaient souvent par cette phrase : « je n'ai plus de souvenir, que c'est loin ! ». Effectivement après la guerre, des entreprises disparurent, obligeant les employés à se reconvertir vers une autre activité. Aussi Thierry insiste pour obtenir un rendez-vous et là, à la vue d'un plan, d'une photo, lentement la mémoire revient et…le passé surgit. Moments émouvants, lorsque certains demandent la présence de leurs enfants et petits enfants pour raconter ce dont ils n'avaient jamais parlé auparavant à leur famille.

Le « 603 » comme dit Thierry Fournier, il l'avait connu dans la réserve du musée de l'Air du Bourget en pièces dans la poussière. Aujourd'hui il est heureux, le Dewoitine retrouve sa belle allure. Il sait « pourquoi et comment c'est fabriqué ! » .

Du haut de ses 15 ans, Thibault Lafon a déjà des souvenirs nostalgiques de cet appareil ! « Malheureusement ma scolarité, en internat à Sarlat, ne me permet plus de venir donner un coup de main ». « J'aime les avions de la Dernière Guerre, quand je l'ai vu pour la première fois en visitant le CAEA avec un copain, j'ai trouvé qu'il avait de la gueule, quand au moteur : qu'il est beau ! ». « Du coup, Gilbert m'a proposé de participer à le décaper pendant mes temps libres, depuis je suis attaché à cet avion ».

Le temps ne fait rien à l'affaire, même pour les jeunes le 520 devient une idole.