L'atelier B-26 Invader

En juin 1966, lorsque la main droite de Maurice Saint Martin poussa en avant les manettes des 2 moteurs de 2000 cv pour son dernier vol sur B.26 , il n’imaginait pas, que beaucoup plus tard en 2003, il retrouverait l’appareil démonté, en début de restauration, dans le hangar du CAEA. Avec 1500 heures de vol sur ce type d’avion et quelques milliers d’heures sur d’autres machines volantes - Lockheed T.33, Mirage III N - il se souvient comme d’hier des sensations procurées par cet avion.
« Il était facile à la manœuvre , une merveille à piloter, pratiquement un chasseur ». Ce que confirme Claude Plessis, 25 heures aux commandes de cet appareil, mais avec quel souvenir ! : « Exceptionnel au pilotage, répondant bien aux gouvernes, quand on poussait les manettes, on était collé au siège ». Michel Baron rajoute « l’Invader était rassurant car on était inconscients.. » et de se rappeler, qu’en place de droite, comme navigateur (pas de double commande), il lui arrivait de permuter avec le pilote en vol car ce dernier tenait à ce qu’il sache tenir l’avion « au cas où » il serait blessé !

Equipe B-26

De gauche à droite, Jean-Serge Coste, Thierry Prades, Yvon Dumoulin, Michel Baron, Claude Plessis, Alain Chicherie, Jean-Yves Guillot, Maurice Saint Martin


Ces anciens pilotes, membres d’équipage, n’imaginaient pas non plus, qu’ils se réuniraient, un jour, au milieu d’une équipe d’une douzaine de passionnés d’aviation venus d’horizons différents, affairés autour du fuselage, des ailes, moteurs et autres pièces maîtresses d’un B.26 démonté dans un atelier. « J’ai découvert ici une bande de fous » dit Claude Plessis avec un grand sourire, une bande qui travaille très régulièrement 3 fois par semaine avec passion et plaisir. Tous sont attachés à Yvon Dumoulin - le Chef- « pièce maîtresse » de l’atelier qui mène le ballet de la restauration : sportif, hyper actif, celui-ci flirte avec.. les 80 ans! Attaché à la répartition du travail sans contrainte, tenant à la polyvalence des membres de l’équipe, il sait tout, a l‘œil sur tout. Ici, on soude, on forme, on découpe, on rive, on peint et… on s’amuse , toujours heureux d’être ensemble. Cet avion en « pot de fleur » devant le P.C. de la B.A.106 dut affronter 30 ans d’intempéries . Yvon Dumoulin eut un coup de cœur salvateur. Il le fit rentrer au Conservatoire pour restauration : démontage pièce par pièce, réparation, reconstruction, remplacement, remontage de tous les éléments d’un bi-moteur de 60 ans d’âge.

Pour ce faire, une foule de renseignements techniques ont été et restent nécessaires. Michel Baron s’emploie patiemment -et avec bonne humeur - à rechercher de la documentation sur l’appareil , à trouver la pièce manquante ou la solution pour tel ou tel remontage. .

Jean-Serge Coste, passionné d’aviation militaire concernant notamment la dernière guerre, s’active sur la verrière du B.26. Rentré au Conservatoire, il lorgnait plutôt le Dewoitine D.520 . Passant devant l’Invader en pièces, il se dit finalement : « C’est là que je veux travailler ». Avec humour, Jean-Yves Guillot, ancien de l’Aéronavale , se dit avoir été « recruté » par Yvon Dumoulin. « Aujourd’hui je sais même riveter !».

L’équipe est composite. Ainsi Thierry Prades, militaire en activité sur la base de Mérignac, maquettiste d’avions français durant ses loisirs, a intégré l’équipe B.26 séduit par la polyvalence des travaux, les considérant intéressants et instructifs. Egalement Alain Chicherie : ancien mécanicien-auto, meilleur connaisseur des moteurs Gordini que ceux des avions, entre pourtant au CAEA . Accueilli à bras ouverts dans l’équipe B.26 et à l’instar de ses camarades, il a ‘chassé’ les rivets au marteau et au burin pour dégager les tôles, impressionné par l’importance de la corrosion laminaire qui les dévore .

Il s’agit d’un travail long, minutieux. Il s’agit d’une équipe engagée à redonner son authenticité à cet Invader, sans ménager le temps pour y parvenir. Certains voudraient bien le voir assemblé… ce ne devrait plus tarder. Démonter est chose plutôt aisée, remonter tout autre chose. Excepté le démontage des moteurs, les pièces en sont trop corrodées. « Le démontage est délicat » précise Jean-Claude Fourny, les 18 cylindres de chacun de ces moteurs en étoile Pratt et Whitney nécessitent beaucoup de précautions. Cet ancien mécano-propulseur de l‘aviation, reconnu pour sa compétence technique par ses camarades, a ressenti une grande émotion en arrivant devant le Hangar HM2 abritant les avions du CAEA : il s’est retrouvé devant le même bâtiment quitté 40 ans plutôt pratiquement jour pour jour et.. nez à nez avec un Mirage IV sur lequel il avait travaillé ! A cette époque les Mirage IV et les B.26 cohabitaient sous le même abri.

Pour sa part, Michel Desplat n’a pas d’historique avec l‘Invader. Il évoque le temps où il pilotait les premiers jets de l’armée de l’Air ( Mistral, Mystère IV, etc) mais participe aux travaux. Bien qu’il ne se considère « pas très mécano », il a aidé au démontage des volets et ailerons. Il lui arrive aussi de partir à la recherche de pièces à Toulouse.

Alain Dutheil est un cas ! Après avoir passé 35 ans de sa vie à la Sogerma, il avoue : « Les avions ne m’ont jamais intéressé (!)…..il a fallu que j’arrive au Conservatoire et dans cet atelier, pour m’y passionner en écoutant les Anciens raconter leurs aventures ». Lesquels ’Anciens’ reconnaissent avoir appris d’Alain comment dériveter et riveter, incollable sur les rivets fraisés, le fraisage et l’embeuvrement selon l’épaisseur des tôles.

Electro-mécanicien de formation, ayant travaillé sur Mirage IV à Mérignac, dans les galeries souterraines du P.C. de Taverny et à la Sogerma, Etienne Simon se souvient de son premier vol sur B.26 . Un vol de jour entre Cazaux et Lyon. Au retour, un orage noir au dessus du Massif Central a contraint l’équipage à se dérouter largement. Passager, Etienne n’as pas oublié son angoisse devant les jauges d’essence au plus bas depuis trop longtemps et son soulagement au touché des roues à Cazaux : il ne restait plus que 2 à 3 minutes d’essence. Philatéliste et collectionneur de cartes postales liées à l’aviation, c‘est un « touche à tout » dans l’atelier, comme il se décrit lui-même. Très compétent dans la partie électrique de l’appareil, il est l’un des membres fondateurs du Conservatoire de l’Air et de l’Espace d’Aquitaine.

Se retrouver chaque semaine de nombreuses heures dans l’atelier de l’Invader ne suffit pas à cette douzaine de passionnés : ils ont plaisir à prolonger le temps passé ensemble par des « petites sauteries » en compagnie de leurs épouses, une ou deux fois par an !

On comprend mieux pourquoi ce bon vieux B.26 prend son temps avant de quitter l’atelier pour gagner la salle d’exposition….