Quel rapport peut-il exister entre une baguette de pain et un guépard ? Hé bien, sans la rencontre au sortir d’une boulangerie de Saint Médard en Jalles, il y a une dizaine d’années, de Marc Leroy (EA 75) et de Marc Alban (EA 64), à l’époque président du CAEA (1), l’atelier Guépard n’aurait sans doute pas existé. Les deux hommes se connaissaient depuis Salon de Provence et Marc Alban demanda à l’autre Marc de d’entrer au Conservatoire pour essayer de remettre en état de vol un appareil de la collection appartenant au patrimoine aquitain.(2) .
Marc Leroy, pilote de ligne en activité à Air France accepta. « Le challenge m’intéressait, je me suis lancé ». Après plusieurs années, il repéra un Wassmer C43 Guépard à l’annexe de Bordeaux du Centre d’Essai en Vol , un avion monomoteur de formation, de 4/5 places propulsé par un 6 cylindres de 250 cv et estima que son état constituait une bonne base de restauration pour revoler. Marc proposa au CAEA le financement du projet par des adhérents du conservatoire: Eric Charraud, René Lemaire et lui-même.
Rien ne prédestinait ce dernier à faire carrière dans ce qui allait devenir une passion : l’aéronautique. Jeune, il ne rêvait que de football, « Je voulais être footballeur professionnel, je me suis vite rendu compte que je n’avais pas l’envergure ! Que faire alors ? Le bac en poche, je ne savais pas dans quelle direction m‘orienter. » . Etudiant en agronomie au Lycée Lakanal, une rencontre avec un commandant de bord de Caravelle, de la compagnie nationale, apporta la solution au jeune Marc quand celui-ci lui dit : « Il faut faire pilote ! ». « J’ai donc dû, bien qu’étant très moyen en mathématiques, repasser en Math Sup, toujours au même lycée ». Après une tentative infructueuse au concours de l’ENAC, ce fut l’Ecole de l’Air et le C.O.T.A.M. (Transport Aérien Militaire) pendant une dizaine d’années, qui lui permirent de voler, en tant que pilote, sur des types d’avions aussi divers que : Fouga Magister, Dassault 312, Transall, Noratlas, MS 760 « Paris », MH 1521 « Broussard », EMB 121 « Xingu », etc. Il entra ensuite à Air France, comme copilote, sur Boeing, 737, 747, puis devint commandant de bord sur Airbus A 330 et A 340 et enfin B 777.
Et c‘est, aujourd’hui, entre deux vols long-courriers qu‘il retrouve au plus vite l‘atelier « Guépard » dans le hangar du CAEA. « L’équipe Guépard, je l’ai constituée parmi les adhérents du Conservatoire, nous ne sommes pas des grands extravertis, nous avons tous nos traits de caractère et sommes complémentaires ». Il s’empresse de rajouter « et on s’entend bien ».
C’est à l’occasion d’une visite au salon de la maquette à Bordeaux que Guy Lassalmonie repéra une photo de DC3 sur un stand. Celui du CAEA où se trouvait Gilbert Bonin, une conversation s’ensuivit sur cet appareil que Guy avait contribué à remettre en état de « transport public» à Orly, sous couvert d’Air Inter. « Nous avons parlé aussi du Mercure…je me suis inscrit au Conservatoire et…me suis retrouvé à décorer et mettre en état la salle Jean Macaigne (3) avec Marc …qui m’a demandé de travailler avec lui sur le Guépard ». Futé, Marc Leroy venait de mettre la main sur un « gros poisson »! Un électronicien et mécanicien, certes à la retraire, mais à la carrière jalonnée de compétences techniques aéronautiques reconnues. Guy la termina comme chef d’atelier des commandes de vol ou il travailla sur Fokker 27, Vickers, Caravelle 12, Mercure, A300 puis A 320 et termina sur A330. Il se souvient qu’avant de passer cadre, il avait été le seul agent technique d’Air Inter à faire des stages techniques, à Air France, sur l’atterrissage «Tout Temps», pour la venue des Caravelles XII de sa compagnie. Par la suite, Air Inter le proposa à Dassault pour dessiner le banc d’essais des commandes de vol automatiques du Mercure. Il a plaisir à raconter qu’un jour Marc Leroy lui demanda s’il connaissait les bancs d’essai car à l’IMA, les étudiants ne s’en sortaient pas dans l‘étude de ce sujet. « J’y suis allé et là stupéfaction ! Il y avait tous mes bancs d’essai avec les liasses, tout ce que j’avais tapé à la machine avait atterri à l’Institut ! ». « En trois heures, j’ai « recalé » tous les étudiants qui avaient travaillé dessus ».
Guy Lassalmonie a la vocation des choses qui volent ; petit il voulait être pilote et en attendant, il bricolait des fusées de sa fabrication qui avaient une fâcheuse tendance à éclater dans les fraisiers de son grand-père ! Charentais, il s’inscrivit à l’Ecole des apprentis mécaniciens de l’Armée de l’Air à Saintes, il eu le temps de passer son brevet de vol à voile et ensuite, faute d’être retenu comme pilote par l‘armée, il se lança dans l’électronique à Rochefort. Radio de bord sur Noratlas il quitta l’armée de l’Air pour le civil où après diverses recherches il entra à Air Inter. Si Marc Leroy est le Maître d’ouvrage, Guy est le Maître d’œuvre de la restauration du Guépard. « L’avion doit revoler, je n’ai pas droit à l’erreur, cette remise en état de vol se fait avec la documentation que l’on a. Mais ce travail va bien au delà d’une « Grande Visite », il nous faut retrouver les pièces, les vérifier et les remonter. Je ne m’occupe pas du moteur, exception faite de ses périphériques ». Complémentaires et rigoureux les deux hommes de caractère s’estiment et comme dit Guy Lassalmonie « avec Marc on se fritte…amicalement ».
« Que faire à la retraite ? » C’est la question lancinante que se posait Alain Dufour six mois avant l’échéance. Quand on s’est toute sa vie professionnelle investi dans un métier- la carrosserie automobile- n’est-ce pas le moment de raccorder avec ses rêves d’enfant ?. « Je me suis demandé : qu’est-ce qui t’as toujours intéressé ? réponse : les avions. Jeune, j’avais commencé à lire beaucoup de livres comme l’épopée de l’Aéropostale et ai continué par la suite. A 15 ans, combien de fois suis-je venu sur la terrasse de l’aéroport de Mérignac voir les Mirage III , les Vautours décoller, je me souviens, en bas sur le tarmac, il y avait un Armagnac que l’on pouvait visiter ».
Les journées du Patrimoine furent l’occasion pour cet homme réservé de prendre un contact direct avec le Conservatoire : « J’ai rencontré Jean-Claude Peyre et lui ai demandé : à quoi puis-je servir ?.Il me répondit aussitôt : mais un carrossier ça nous intéresse ! ». Alain Dufour commença à travailler sur le B.26 avec Yvon Dumoulin pendant 2 ans, jusqu’à ce que Marc Leroy lui propose de le rejoindre sur le Guépard. « Je viens au moins tous les mardis travailler » dit Alain, « et quand j’entre dans le hangar, avec tous ces avions qui ont une histoire, c’est comme si j’entrais dans un livre ! ». « Guy Lassalmonie nous dit ce qu’il y a à faire et on se répartit le travail entre-nous. Je fais « de la science » et suis heureux de donner un coup de main à en faire ! En fait, je fais de tout : remonter le train avant, la voilure, réparer le capot mais je fais ».
Yves Diaz revendique sa passion : « Je suis un mordu d’aviation » . C’est en rendant visite à un oncle à l’aéroport de Marignane, à l’âge de 14ans et voyant les avions décoller qu’il a eu le coup de foudre : « Ça a été immédiat, je voulais être pilote dans l’Aéronavale ! Je voulais m’engager mais à l’époque la majorité était à 21 ans, il me fallait l’autorisation de mon père. Celui-ci rêvait de me voir banquier, comme lui, ce fut donc un refus catégorique de sa part. Pour le contrer, j’ai passé mon brevet de parachutiste au service militaire et je suis parti en Afrique noire avec mon régiment, j’ai effectué 400 sauts ». Rentré en France, Yves a continué à vivre sa passion à proximité des avion à Tarbes et ensuite à Mérignac en fréquentant les aéro-clubs.
Après une carrière dans le bâtiment puis aux pompiers de Bordeaux, arrivé à la retraite, il trouva le CAEA par internet et commença, à travailler sur le B.26: « Jusqu’à ce que Marc Leroy au cours d’une conversation me demande, si rejoindre l’équipe du Guépard m’intéressait. Je n’avais pas de spécialité mais dirigé par Marc et Guy, j’ai pu travailler sur tout. Je dois dire qu’avec cette équipe, j’ai beaucoup appris, on fait partie d’une grande famille ».
Jean-Claude Fourny (5) a lui aussi été « débauché » par Marc Leroy « Comme je travaillais ( et travaille toujours ) sur les moteurs du B.26, il m’a demandé de m’occuper également du moteur du Guépard. Il faut beaucoup de précautions pour la remise en état de ce moteur qui va revoler. Avant tout, une recherche de sécurité ». On a fait le gros œuvre et nous en sommes aux finitions ». Les moteurs à pistons ne sont pas la spécialité de Jean-Claude Fourny, qui dans sa vie d’ingénieur a beaucoup travaillé sur les turbines des réacteurs. Il la termina à l’AIA à la Croix d’Hins, sur les bancs d’essai des moteurs de PT6, R 2800, APU, etc. Une carrière débutée à 16 ans après avoir passé le concours de l’école des mécaniciens à Saintes : « Pour être arpète dans l’Armée de l’Air, ensuite à Rochefort. Plus tard, je suis arrivé à Mérignac pour m’occuper des Mirage IV ». Le rêve à l’époque de Jean-Claude était d’être mécanicien navigant, aussi, sorti de l’armée passa-t-il le concours d’Air France, malheureusement une myopie déclarée tardivement l’en empêcha. Tout en travaillant dans un premier temps à l’AIA de Bordeaux, puis à UTA Industrie, il s’inscrivit aux cours du soir du Conservatoire National d’Art et Métiers (CNAM) et pendant…8 ans les suivit pour devenir ingénieur. « J’ai réussi ! heureusement mon épouse était compréhensive car j’avais aussi des devoirs à la maison les week-end ! ». La passion pour l’aviation de Jean-Claude Fourny s’est « déclarée » à l’âge de 6 ans, quand il effectua son baptême de l’air sur un Stampe. « C’était dans la Marne en 1950, à l’occasion d’une fête d’été, j’ai volé mais… n’ai rien vu, ma tête ne dépassait pas du montant du fuselage ! », raconte-t-il les yeux rieurs. « Mais depuis ce jour là l’aviation m’a toujours intéressé ».
Avec « Kostia » Rozanoff aux commandes d’un avion léger, Michel Desplat (5) effectua son baptême de l’air à l’âge de 12 ans, lors d’un meeting à Saucats. « Mon père travaillait chez Dassault où Rozanoff était directeur des essais en vol, il m’a fait faire un ou deux tour de piste ». A 18 ans, il s’engagea d’abord pour trois ans dans l’armée de l’air, puis y fit carrière où il passa pilote. A la retraite, Michel entra au CAEA et commença à aider l’équipe de restauration du B.26. « Quand le Guépard est arrivé, j’ai demandé à Marc si je pouvais l’aider car je connaissais les Wasmer, j’avais volé sur l’un d’entre eux à Villemarie et travailler dessus m’intéressait ». « Je fais un peu de tout : surtout avec Alain Dufour, on a remonté les volets, les appareils du tableau de bord, les équipements statiques, j’apprends des choses ». Ce que Michel Desplat attend de voir avec impatience ce sont les essais moteurs.
René Lemaire fondateur du CAEA (4), à la brillante carrière d’ingénieur d’essais en vol et de directeur de bureau d’études chez Dassault se souvient : « Un jour Marc Leroy m’a demandé si un Guépard à restaurer pour revoler, m’intéressait. Je connaissais bien l’avion. Quand le conservatoire utilisait le hangar H2, il y en avait trois disposés devant pour les Corps Techniques de Bordeaux (Ingénieurs de l’état qui disposaient de ces avions). « J’ai été tout de suite partant et ai même participé financièrement à l’acquisition !. Marc et son équipe me consulte techniquement sur l’ensemble de l’appareil, ils font un gros travail qui prendra encore un peu de temps ».
Marc Leroy s’est attaché également le concours ponctuel pour la restauration du Guépard de Christian Dugay, Pierre Hainault pour des aides diverses et Patrice Bouis pour la partie moteur. Toute cette équipe autour de son leader prépare, avec patience et méticulosité, le premier rugissement du Guépard.
(1) Marc Alban : Général de l’Armée de l’Air, ancien Commandant de la 3 ème Région aérienne
(2) Aéronefs conçus ou liés à l’histoire de l’Aquitaine
(3) Cf : La salle Air France « Jean Macaigne ».
(4) Cf : René Lemaire fondateur du CAEA.
(5) Cf : Atelier B.26